Aucun mal ne vous sera fait
Discographie
Aucun mal ne vous sera fait
Alister ? Un guitariste gaucher et adroit surgi de (presque) nulle part, avec dans sa besace onze merveilles pleines d’humour et d’amertume, chantées avec la conviction de ceux qui n’ont plus grand-chose à perdre. Alister revient de loin : du quai François-Mauriac, plus exactement. Aux ayatollahs de l’underground, qui lui reprocheraient d’emblée un passé chez Canal +, on répondra que Christophe Miossec a couché quelques textes du séminal Boire (1995), non pas sur un comptoir, mais dans les bureaux de TF1, entre deux rédactions de spots publicitaires. Ceci étant précisé, et retourné par le single Qu’Est-Ce Qu’On Va Faire De Toi ? (bonne question aux mille et une réponses aussi ébouriffantes que sa production, signée du trop rare Baxter Dury), on se penchera avec intérêt sur Aucun Mal Ne Vous Sera Fait, premier album au titre à double entrée, fracassée par les malfaiteurs, ou lancée par la police lors de l’arrestation des premiers. Inutile de préciser de quel côté se situe Alister, receleur averti qui pille et polit un certain héritage français ballotté de la paire Lanzmann/Dutronc aux mains de Nino Ferrer, Bashung, Patrick Coutin ou du surréaliste Dondolo. Pour une fois, pas de trace de Gainsbourg ici, sinon cette propension à l’éclectisme cohérent et au détournement des codes. Pas bégueule, Alister livre d’autres singles potentiels (le très glam rock Fille À Problèmes, riffs et refrains imparables, Bordel et ses éclairs de Johnny Thunders). Pourtant, derrière un humour de façade, Alister signe une collection de “romances nerveuses” ténébreuses et angoissantes. Moins maniéré que Jérôme Attal, auquel on le compare parfois (les deux sont écrivains à leurs heures perdues), Alister avoue sans ambages son influence principale, Lou Reed, et sa volonté de s’approcher de son chef-d’œuvre de 1972. Dans cet album de noctambule, où nuit et ennui ne font plus qu’un, on assiste à la relecture désespérée de pop songs tombées dans le domaine public. On devine des échos de Il Est Cinq Heures, Paris S’Éveille dudit Dutronc dans la sombre Paris By Night et son énonciation de visions de la déchéance quotidienne. Hier Soir, description détachée et hautaine d’un suicide, s’écoute comme une version dark du mélancolique Sortir Ce Soir d’Étienne Daho. Alister connaît son histoire du rock sur le bout des doigts et joue avec l’inconscient collectif pour mieux le pervertir. 7 Heures Du Matin ne réveille pas Jacqueline Taïeb, mais borde son entrain avec délicatesse. Quelque Chose Dans Mon Verre a moins à voir avec la déconne rigolarde des Ramones (Somebody Put Something In My Drink) qu’avec une esquisse impressionniste de la naissance de l’amour ou du baiser de la mort. Cette ballade vénéneuse s’impose comme la cime d’une œuvre parfaitement agencée dont les intitulés se répondent (Barnum, Bordel, Désordre), mais où l’énergie juvénile, incontrôlée et insolente (“Antisocial, tu perds tes cheveux”, sur Bordel) le dispute à la tristesse insondable d’une ballade pour voix et touches d’ivoire (Barnum) et au talk-over désabusé sur envolées pianistiques (Désordre). On ressort abasourdi et touché par la foi mise dans cette poignée de chansons pas comme les autres, marqué par ces incessants allers-retours entre tradition littéraire française explosée et parfaite maîtrise des idiomes du rock anglo-saxon. Belle époque.
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