Peu importe la foi et fi des espérances. Dieu Merci, la
vie selon Kaolin ne s'embarrasse guère des préjugés. Indescriptible,
sans loi ni genre, si ce n'est le goût très sûr pour l'harmonie
universelle, l'élégie galante et les plaisirs mélancoliques. A force
d'observer depuis des lustres ses rares paradoxes, on pourrait écrire un
livre sur l'habileté diabolique du quartet montluçonnais, les premières
tentatives discographiques, de celles qui soulevaient déjà d'admirables
voiles bref, un ouvrage biographique racontant à chaque page les durs
écueils, franchis avec une élégance et une facilité désarmantes.
Habile donc ? Un peu oui. Allez faisait luire des trésors d'écriture,
incandescente et glacée, souffreteuse et puissamment lyrique, mise en
boîte par Paul Corkett (Placebo, Cure). La réponse aux hérauts pop des
Cornouailles venait donc de là, sous nos pieds, de cette roche friable
et réfractaire... Une major, des espoirs, des joies et des peines
dessinaient déjà le vrai Kaolin. Brillant et vitrifié, De Retour Dans
Nos Criques se fait entièrement modeler à la main par Damien Bertrand,
co-producteur au plus près des préoccupations du groupe, et fignoler par
Dave Fridmann, sorcier personnel des Mercury Rev, Flaming Lips,
Sparklehorse Galette de rois. Kaolin y vire au rouge, gorgé de guitares
abruptes et de rythmes envoûtants, porté par une voix jamais fendillée.
Après la ruée vers l'or ? Du silence. Du calme.
Et une lumière, celle d'un Manset, celle d'un Dylan, oui, d'un Dylan
(Partons vite si tu veux bien, devoir d'école), celle d'un Teenage Fan
Club, d'un Neil Young, ouvertement salué ici et là. A vivre toujours
dans le rêve, les ombres se dissipent. Exit Barclay, bonjour At(h)ome et
Strictly Confidential, nouvelle garde rapprochée du groupe, la
bien-nommée indépendance, enfin.
L'air est frais et s'engouffre, lave et balaie au coeur des esprits,
longtemps confinés à une seule vocation. Dans le havre de l'Hacienda,
Philippe Balzé a brillamment capté l'essence même des Kaolin, cette
illumination révélée par Edith Fambuena (les Valentins, l'amour,
toujours), productrice juste et d'une évidente pertinence. Les voix se
creusent et s'aèrent d'un trait, pour chanter les amours acides et les
innombrables vies du monde. Le groupe va bien, merci. Marque de fabrique
somptueuse, les guitares défient la pesanteur à bord d'aéronefs
mythiques (Fais semblant), caressent de merveilleuses ballades. Toujours
inégalée en ces tristes heures de moines copistes, la plume est tout
aussi joueuse, tout aussi gracieuse, un rien moqueuse et souvent sur le
fil, histoire de dérouter l'habitué.
Légèreté. Souplesse. Luminosité éclatante. Tout ici respire l'essentiel
d'un groupe enfin serein, dont l'oeuvre s'approche toujours plus d'une
huile parfaite, quand la lumière se joue des dimensions. Il restait à
donner une chair à ces matières frémissantes. En Suisse, Philippe Weiss
a couvert la toile de vibrations organiques, un traitement respectueux
de l'engagement extrême du groupe, de sa volonté tenace de dévoiler ses
quatre vérités. Les rythmiques volent de basses en basses, chansons
portées en procession par un groupe puissant en état de grâce, un
travail d'orfèvre puisé aux vertus du hip-hop.
25 septembre. Mélanger les Couleurs. Jamais Kaolin ne s'est approché
aussi près de Kaolin.